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La colonisation grecque

Un phénomène capital domine tout l’archaïsme en Méditerranée : des Grecs, provenant de terres anciennement occupées, fondent des colonies sur les rives occidentales de la Méditerranée et de la mer Noire. Un tel mouvement n’est certes pas nouveau : ces phénomènes migratoires, d’est en ouest, remontent on le sait au Néolithique...

Mais à peine sorti d’une époque géométrique bien sombre, après le traumatisme de l’arrivée des Doriens et des Peuples dits de la mer, où la Grèce avait dû vivre repliée sur elle-même, le monde grec désormais s’ouvre vers l’extérieur. Il reprend contact avec l’Asie, se passionne pour l’orientalisme et se lance en même temps à la conquête du Couchant.


Certes les progrès de la nautique le lui permettent. Mais reconnaissons avec Bachelard qu’il fallait beaucoup de courage et de témérité pour affronter les risques de la navigation. Et contrairement à ce qui a pu être écrit, l’aventure grecque n’est pas « l’aventure de la faim ».

Ce sont des intérêts supérieurs aux intérêts économiques, plutôt des « intérêts chimériques, fabuleux », qui poussèrent l’homme grec sur ces rives lointaines.


Les milieux aristocratiques grecs, au cours de l’archaïsme, découvrent la mer et le monde. Et leur rencontre avec les populations riveraines va provoquer un formidable brassage de cultures. Les causes de ce mouvement migratoire décisif pour la culture occidentale, sont diverses.


Tout d’abord, la race grecque se dit jeune, avide de donner enfin la mesure de son potentiel. Le Grec est un insulaire, s’estimant confiné dans un périmètre qu’il estime trop étroit pour lui permettre de donner la pleine mesure de son potentiel d’énergie.


Le Grec est un marin, sa terre toujours environnée de mer, et la mer est bien un pont pour lui, un moyen de communication.
De plus le VIIIème siècle voit la Grèce souffrir tragiquement de l’étroitesse de son sol, la «  sthenochoria ». Et la disette qui en résulte est un phénomène beaucoup plus social que géographique.


Une mauvaise répartition des terres, qui privilégie les aînés au détriment des cadets, morcelle les héritages en lopins déjà mesquins.
Le passage de la céréaliculture à la culture arbustive, vigne, olivier, fait que la tardive récupération sur investissement, conduit les pauvres à s’endetter puis à vendre et les riches à s’enrichir en agrandissant leur domaine.


La montée en puissance de la classe moyenne, qui entreprend dans la cité de réduire les privilèges des nobles, conduit à des conflits sociaux, des luttes de factions, qui font que les vaincus sont contraints de s’exiler. Une démographie excessive donc par rapport à l’étroitesse de la terre conduit donc à une grave crise sociale au milieu de ce VIIIème siècle.


Platon disait : « Tous ceux que le manque de ressources destinait à suivre des meneurs pour s’emparer des biens des possédants, ces prolétaires, constituent une sorte de mal intérieur de la cité.


Pour s’en débarrasser, on a créé ce qu’on appelle une « apoikia ». C’est la forme la plus élégante de l’expulsion. »
Nous traduisons par « coloniser » le verbe « apoikein » et par « colonie » le mot « apoikia ».


Notre vocabulaire s’avère ici très insuffisant. « Apoikein » signifie « séjourner »« loin » « apo », de la maison « oikos », « habiter à distance ». On voit ce qui sépare ce concept de celui de « colonie », tiré du latin « colere » qui signifie « cultiver » voire « exploiter ».


Ainsi donc des exclus, en rupture de ban, victimes de luttes sociales, voire bâtards, incapables de supporter le discrédit social dans leur ville, constituent la part la plus importante de ceux qui vont peupler ces rives de l’Occident.

Trafiquer avec les barbares, obtenir du blé, de l’or contre des cruches de vin grec, des flacons de parfum, de la pacotille, on appelle cela des raisons commerciales. Mais plutôt conquérir de nouvelles terres à blé et offrir à ses enfants un territoire à exploiter, en faire des citoyens-soldats, aux confins de la mer du Couchant.

L’implantation des colonies.

La cité aura pour ambition de réguler ces départs. Elle désigne un « oikiste », un fondateur, doté de larges pouvoirs, et qui a souvent reçu à sa mort les honneurs de l’héroïsation.

Une fois le départ prévu, on va consulter l’oracle de Delphes. On ne dira jamais assez combien le clergé delphique a su peser sur l’organisation intelligente de cette migration, sur l’implantation équilibrée et harmonieuse de ces cités grecques dans le monde occidental.
« Agathe tuche », « la bonne fortune » ! Les devins ont été consultés….


Gonflés d’espérance, ces expatriés et ces fugitifs, ces rebuts d’une civilisation qui ne leur fait aucune place, ont arrimé à bord tout ce qu’ils ont pu apporter : couvertures, vivres, armes, et outils. Et des semences dans des sacs, et des plantes en pots et du cheptel vivant.


Les odeurs, les nausées, les sueurs humaines, la vie est difficile…. La grève s’éloigne, on espère la brise. En attendant, on rame, au son de la flûte…Le capitaine fixe les yeux sur les étoiles. La vie en mer est dure : les pirates à redouter, les concurrents phéniciens, les caboteurs indigènes….

On ne perd pas les côtes de vue, le soir on mouille, on tire le navire au sec, la proue tournée vers les flots. On dîne, grâce au feu amené sur le bateau.
Et après une longue traversée, on repère un paysage qui ressemble à celui de la mère patrie : une île sèche.

On entre en contact avec les pasteurs autochtones, on demande un lopin de terre pour s’installer, et puis on confie le sol aux arpenteurs. On a tellement souffert de l’inégalité qu’on va se passionner jusqu’à l’obsession, pour l’« isokleria ».


On définit des lots égaux, selon les plans de l’architecte de Milet, Hippodamos. On tire au sort, pour chacun des futurs citoyens le lot qui lui revient. On a, au préalable, défini les espaces réservés à la communauté.


L’ « oikistès » installe un petit naos pour l’idole ramenée de la terre patrie et on fait un sacrifice de fondation. On s’assurera que le site présente une position défensive naturelle, près d’un mouillage adéquat.

Et la ville s’organise autour du foyer, avec de pauvres maisons aux fondations de pierre, aux murs de pisé, entourées d’un rempart grossier. La nouvelle cité va se doter d’institutions, imitées de celle de la mère patrie, mais jouissant d’une indépendance politique absolue.

Ces colonies sont des états grecs autonomes. Certes toutes les attaches ne sont pas coupées avec les métropoles. Les colons conservent le dialecte de leur ville, ils ont aussi emporté leurs dieux.


Et c’est d’ailleurs avec la ville mère que la colonie va essentiellement commercer.

L’acculturation gréco-barbare.

Très vite on cherche de riches plaines qu’on arrache avec plus ou moins de difficultés aux indigènes, souvent réduits au servage ou contraints à une semi-servitude. On épouse certes leurs filles et leurs femmes, métissage qui va nécessairement créer des problèmes identitaires.

Et l’éducation donnée aux enfants métissés sera l’objet de controverses, autant de problèmes inhérents à toute rencontre entre deux cultures, quand la situation impose des relations de type « dominants/dominés ».


Les Grecs seront sur les rivages et dans les plaines, « paralia», les Barbares à l’intérieur, « mesogia), dans des espaces généralement plus vastes.
Deux mondes s’opposent ainsi : celui des terroirs limités et de leurs franges, et celui des collines, des montagnes, des déserts, de l’ « agros », ignorant la mer (les Barbares ne savent pas nager !).


Si des indigènes sont dits « à moitié grecs, mixellenes», des grecs sont qualifiés, avec un certain mépris, d’« à moitié barbares, mixobarbaroi ».

L’éclatante prospérité des colonies

Pour expliquer le succès rapide de ces colonies, rappelons quand même que ces colons sont peut-être les meilleurs de la cité-mère, les plus actifs, les plus entreprenants, ce que l’amertume de la frustration rendait plus aptes à trouver les solutions les plus fructueuses.


La supériorité du Grec sur le Barbare tient essentiellement à la maîtrise de l’écriture. Grâce à elle, les Grecs avaient un instrument qui leur permettait de mettre leur mémoire à l’abri des défaillances. Les Grecs ont fait de l’écriture un instrument profane, laïque, commun, populaire, contrairement aux hiéroglyphes sacrés égyptiens et à l’écriture administrative des scribes d’Akkad, Mari, Ebla ou Ougarit.


Si pendant un siècle et demi la colonisation grecque fut essentiellement une colonie de peuplement, les préoccupations commerciales, toujours présentes, vont s’accentuer à partir du VIème et du Vème siècle. Mais la colonisation grecque restera toujours un moyen pour la cité d’exporter son surcroît de population. Sans cesse grossie, enrichie de nouveaux apports, elle restera un séduisant mirage pour tous ceux qui souffrent et peinent dans la mère patrie. Un décret retrouvé à Cyrène rappelle cette vocation à devenir un exutoire pour tous ceux qui seront en rupture de ban ou qui seront séduits par le charme de l’exotisme.


C’est que, et c’est ce qui frappe avant tout, ces colonies vont rayonner d’une éclatante prospérité. Hérodote s’émerveille de la fertilité de ces terres, de leur rendement, de la précocité des récoltes, qui permettent à la Grèce de sortir de la disette endémique. Fertilité des plaines, riches moissons, dues souvent à une terre de décomposition volcanique.


Et ces colons prospères vont se plaire à étaler d’une manière ostentatoire leurs richesses acquises sans trop de peine. Les cités s’agrandissent vite, se couvrent de monuments, se complaisent dans une existence voluptueuse. Empédocle reprochait à ses concitoyens d’Agrigente, de « construire comme s’ils devaient vivre éternellement, et de manger comme s’ils allaient mourir demain ». Pensons à ce que l’on disait de l’existence voluptueuse des Sybarites ! Un monde de parvenus, de nouveaux riches, une « Amérique des temps archaïques », qui se complaît dans le colossal et l’ostentatoire.

Temples gigantesques, « é-normes », « démesurés » de Sélinonte, Agrigente…!Cités neuves, sans entraves, où l’on retrouve, et avec quelle rigueur, tous les édifices nécessaires à la cité grecque : temples aux multiples dieux, agora pour le marché, palestres et gymnases pour l’éducation, stoas, hauts lieux pour la rhétorique, théâtres, odéons, tout ce qui fait l’essence de la vie de la cité grecque.


Sur de petites péninsules, ou des reliefs facilement défendables, toujours proches de la mer, avec de vastes plaines à l’arrière, plaines côtières protégées par des reliefs, souvent près d’un fleuve, de l’eau potable, des voies naturelles de pénétration avec un port fluvial.


Cités qui vont se flatter d’avoir des écoles, des générations d’intellectuels exceptionnels. Cyrène peut se prévaloir d’avoir donné naissance à une pléiade de penseurs, nous dirions aujourd’hui d’intellectuels, Callimaque, Ératosthène etc.

Pythagore, le grand exilé de l’île de Samos, a développé en Grande Grèce une fabuleuse école de philosophie et de mathématiques. Écoutons-le assigner ainsi sa mission à tout migrant, condition sine qua non pour qu’il puisse, selon lui, ambitionner de devenir un immigré :
« Anepistrepein apodhmounta epi tois orois » - « En quittant ton pays, détourne les yeux de la frontière. »

Les conséquences de cette grande aventure.

Tout se passe comme si les Grecs avaient trouvé leurs idées au Proche-Orient et les avait élaborées en Occident. Isocrate dit justement dans un panégyrique :
« Les colons sauvèrent à la fois eux-mêmes et ceux qui étaient restés. »


Partout les colons apportaient avec eux l’écriture, la monnaie, des plantes greffées, un artisanat audacieux, des ferments de culture révolutionnaire. Certes les contacts avec les « autochtones », nomades, qui avaient du mal à concevoir que l’on interdise à leurs troupeaux l’accès aux terres de pacage, que l’on transforme ces terres de pâtures en propriétés foncières, étaient-ils conflictuels.

Que l’on construise des villes, autant d’étrangetés pour ce monde barbare ! Mais ces terres de culture imprévue constituèrent une civilisation faite de mille métissages, où les rapports avec les indigènes n’ont pu qu’enrichir ces terres d’Occident.


Alors que les Phéniciens ne fondaient que des comptoirs, les Grecs ne songeaient qu’à des cités nouvelles, à des républiques idéales. Une nouvelle société, à la fois rurale et urbaine.


L’un des intérêts des colonies fut qu’on y put tenter des expériences interdites dans la métropole : « Ici toutes les audaces sont permises, en art comme dans la pensée. »


C’est en Sicile que les premiers législateurs ont demandé aux aristocrates « privilégiés » d’inscrire des lois, lois écrites, communes à tous, ainsi le célèbre Charondas de Catane.


Au contact des Egyptiens, des Sémites, des Ibères, des Latins, des Etrusques,... ils ont fait plus qu’enrichir leur expérience : ils ont dû penser « autrement » et plus vite.


Dans la lutte et la douleur, face aux Barbares qui grondent à la frontière, un colon, influencé sans doute par Pythagore pouvait résumer ainsi tous les mérites de l’épreuve : « pathein mathein » « Souffrir, c’est apprendre », il n’est aucun apprentissage qui ne se face sans la souffrance, et il n’est de souffrance qui ne soit un apprentissage.


Quelle jubilation pour ces colons d’exalter leur puissance, leur rayonnement, leur fierté de porter loin les valeurs de l’hellénisme, dans les grands sanctuaires panhelléniques ! A Olympie, Delphes, les plus beaux exvotos venaient, lors de ces grandes panégyries, des colonies de Grande Grèce, de Cyrénaïque ou de Grèce d’Asie !


Et c’est ici en terre d’Occident que pour la première fois le monde grec a exigé, nous l’avons dit, des lois écrites.


Les disciples de Pythagore nous ont persuadé que la douleur et l’effort grandissent les hommes, les régénèrent. Ces colons ont donné l’exemple du dépassement de soi. Selon le mot de Pythagore : « En quittant ton pays, détourne les yeux de la frontière », ils ont compris que pour entrevoir la vérité, il fallait avoir perdu de vue, comme le dit André Malraux, ce que l’on croyait savoir.


« Si tu quittes la misère et la tyrannie, que ce soit pour n’y plus jamais revenir. »

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Avec

Georges Gensane

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