Matteo Ricci, Giuseppe Castiglione et les Jésuites en Chine

Il faisait froid à Pékin, en février, lorsque j’effectuai un séjour culturel dans la capitale de la Chine. Le prétexte en était de revenir sur les traces qu’ont laissées les pères jésuites et, en particulier, l’italien Matteo Ricci qui vécut à la cour des Ming de 1601 à 1610, date de sa mort. Il avait son tombeau, près de la place Tian’anmen...

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Il s’agit d’une belle aventure. Les premières tentatives d’évangélisation de la Chine remontent au Ve siècle, lorsqu’une communauté hérétique de l’église de Byzance, les nestoriens, se répand à travers l’Asie. Du VII au IXe siècle et ensuite sous la domination mongole, des tribus entières et même un prince, khan Kitan, acceptent de se convertir. C’est à ce moment que se situe la légende du « royaume du prêtre Jean » dont on parla beaucoup au Moyen-âge et qui fit rêver d’un éden dont on ne réussit jamais vraiment à trouver trace : « Au-delà de la Perse et de l’Arménie, s’étend un merveilleux royaume dirigé par le Prêtre Jean… » À l’époque des croisades, le mythe du prêtre Jean avait pris de l’ampleur parce qu’on caressait l’idée que ce prêtre-roi pourrait devenir un soutien potentiel de l’Europe contre les musulmans.
Au début du XVIe siècle, François de Xavier, l’évangélisateur de l’Asie, en compagnie d’Ignace de Loyola avec qui il avait participé à la création de la Compagnie de Jésus, débarque à Goa, alors possession portugaise, où il réalise un certain nombre de conversions. De Goa il se rend à Taiwan puis à Malacca et enfin au Japon. Il meurt de maladie, sur l’île de Sancian, en tentant de rejoindre Macao.
C’est en 1582 que Matteo Ricci arrive à Macao croisant ainsi le destin de Saint-François de Xavier. Il attend l’autorisation d’entrer à Canton et s’installe à Zhaoqing avec son compagnon Michele Ruggieri. Il parvient à entrer en contact avec des mandarins grâce à ses grandes connaissances en mathématiques, en astronomie et en horlogerie. Il reste dix-huit ans dans le sud de la Chine, s’habillant d’abord comme les moines bouddhistes, puis adoptant, par la suite, la tenue des Lettrés. Il étudie la langue des mandarins qu’il parle très vite couramment.
A cette époque, La France et les pays voisins, l’Italie surtout avec qui les échanges étaient constants, vivaient la période féconde et passionnante de la Renaissance dans l’art et l’art de vivre. De ces connaissances nouvelles, les jésuites, qui n’apportaient pas seulement les instruments du culte catholique, véhiculèrent la culture humaniste et la science que des savants comme Copernic et Galilée et plus tard Newton, faisaient avancer à grandes enjambées. Matteo Ricci était arrivé, quant à lui, porteur d’une épinette, d’une mappemonde et de deux horloges à sonnerie qui fascinèrent les savants chinois et même leur Empereur, Wanli, de la dynastie des Ming, celui-là même qui invita le père Jésuite à demeurer dans la Cité interdire et qui autorisa sa sépulture tout près de là. Ricci est le premier missionnaire chrétien des temps modernes, et premier Occidental, à avoir été aussi proche de l’empereur.
Avant lui des missionnaires franciscains et des marchands occidentaux. avaient emprunté à l’Empire du Milieu une part de son imagerie utilisée par des peintres flamands comme Brueghel ou Bosch pour décrire l’enfer à grand renfort de monstres et de dragons, ainsi que d’autres thèmes décoratifs qu’utilisèrent certains peintres siennois. L’échange cette fois fut plus fructueux et l’on est en droit de se demander si le plus grand apport fut de l’Europe vers la Chine ou, tout au contraire, si les européens ne s’en trouvèrent pas fortement sinisés, comme on peut le constater lorsqu’à la fin du XVIIe siècle et tout au long du XVIIIe, les « chinoiseries » envahirent la mode et la décoration des châteaux. En réalité, chacune des deux civilisations en présence étaient persuadées de sa supériorité. Dans son sacerdoce, Matteo Ricci faisait la part des choses en permettant que certains rituels confucéens soient intégrés à la religion qu’il prêchait et, en particulier, ceux qui étaient liés au Culte des ancêtres. Il devait être difficile, arrivant avec des notions de « Révélation » divine, impalpable et indiscutable, d’imposer un message aussi complètement déconnecté de la pensée chinoise de ce temps. Hélas, poussée par les franciscains et les dominicains qui dénonçaient ces « hérésies » auprès de Rome, se leva la fameuse « Querelle des rites » qui dura près de deux siècles et mit un coup d’arrêt à l’évangélisation de la Chine. Toutefois, les liens d’amitié qui unissaient certains empereurs de la dynastie des Qing, essentiellement Qianlong qui régna soixante ans de 1736 à 1796, perdurèrent. Le père Giuseppe Castiglione se vit confier, par l’empereur, la construction d’une centaine de pavillons de style baroque, dans le « parc de la perfection et de la clarté » du Palais d’Eté (malheureusement détruits lors du sac du palais d’été) et aussi de peintures de cour qui firent merveille…
En Europe et plus particulièrement en France, les nombreux rapports que les Jésuites envoyaient à leur hiérarchie vantant l’intelligence, la capacité et l’industrie des Chinois, firent leur chemin et permirent de découvrir Confucius, Bouddha, la médecine, la science, la musique, le théâtre jusqu’à l’érotisme de l’Empire du Milieu. Ce qui fit le miel des philosophes occidentaux (français, anglais, allemands…) qui furent atteints de sinophilie aiguë et créèrent la figure emblématique du « sage Chinois » jusqu’à la contre-offensive d’un Montesquieu, fustigeant dans l’Esprit des Lois, le manque de vertu d’un peuple habitué à obéir aux coups de bâton, suivi d’un Diderot, d’un Rousseau et d’autres. Il faudra attendre le début du XXe siècle avec des écrivains voyageurs comme Pierre Loti, Victor Segalen ou le diplomate Paul Claudel pour que de nouveau la Chine fasse rêver et Lucien Bodard, monstre sacré du journalisme de guerre, né au Yunnan, pour que naisse l’envie de suivre les traces des jésuites des XVI et XVIIe siècle, mais quel voyage !

I. Aubert

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