En Italie du Sud, le règne du baroque
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Au tournant du XVIIe siècle, l’Italie du Sud devient un terrain d’expression privilégié pour le style baroque, nourri par un besoin de reconstruction et l’action des élites politiques et religieuses. Ce mouvement artistique, né à Rome, gagne progressivement les villes de Naples, Lecce, Raguse ou Noto. Dans ce sud italien, loin de la solennité de la capitale, la magnificence du baroque exalte la puissance et la foi, marquant durablement la région.
L’Italie du Sud, en particulier la Sicile, a connu des bouleversements majeurs au XVIIe siècle. En premier lieu, des catastrophes naturelles, notamment le tremblement de terre dévastateur de 1693. Il ravage le sud-est de l’île, détruisant des villes entières comme Catane, Noto, Raguse ou Modica, et causant environ 60 000 morts. Les dirigeants politiques et religieux voient dans cette catastrophe et dans la nécessité de reconstruction l’occasion d’appliquer les principes modernes de l’urbanisme, influencés par les idées rationalistes du XVIIe siècle – ordonnancement géométrique, hiérarchie des espaces, places ouvertes, création de perspectives…
Le style baroque, alors à son apogée en Europe, s’impose naturellement lors de la reconstruction. Né en Italie à la fin du XVIe siècle et largement diffusé jusqu’au milieu du XVIIIe, il se distingue par son expressivité, son dynamisme et sa mise en scène spectaculaire. Conçu pour impressionner et émouvoir, il cherche à susciter l’émerveillement par des effets de mouvement, de contraste et d’ornementation. L’architecture baroque joue sur les lignes courbes, les façades ondulantes, les escaliers monumentaux et les colonnes torsadées, donnant une impression de fluidité. Les jeux d’ombre et de lumière y sont essentiels, créant des effets dramatiques renforcés par des ouvertures savamment placées, des dorures et des matières réfléchissantes. Les décors, quant à eux, sont riches et expressifs : stucs, marbres, fresques et sculptures se déploient sans retenue, toujours au service d’une intensité visuelle et émotionnelle. Le baroque aime aussi l’illusion, utilisant la perspective, les trompe-l’œil ou les coupoles peintes pour ouvrir l’espace.
Le baroque convient fort bien aux élites politiques et religieuses : dans les églises, il exalte la foi catholique, glorifie Dieu et les mystères religieux, notamment en réponse à la Réforme protestante ; dans les palais, les places ou les bâtiments civils, il manifeste la puissance des rois, des papes et des cités.
Du XVe au début du XVIIIe siècle, une grande partie de l’Italie du Sud - dont la Sicile, la Calabre et le royaume de Naples - est placée sous domination espagnole. Gouvernées depuis Madrid, ces régions sont administrées par des vice-rois espagnols qui exercent un pouvoir étendu, au nom du roi, sur les affaires politiques, fiscales et militaires. Cette domination se traduit par une forte centralisation, une pression fiscale élevée et une hiérarchie sociale rigide, mais elle permet aussi la diffusion d’une culture politique et artistique profondément influencée par l’Espagne, notamment dans le domaine religieux. Si cette présence étrangère provoque tensions et révoltes ponctuelles, elle façonne aussi durablement l’identité culturelle du sud de l’Italie.
À Naples, le baroque s’impose avec force à partir du XVIIe siècle, marqué par l’influence espagnole et la volonté de l’Église catholique d’affirmer sa puissance. L’architecture et les arts se développent dans un style expressif, chargé, souvent spectaculaire, au service de la foi et du pouvoir. L’église du Gesù Nuovo en est un bel exemple. Son extérieur conserve la façade austère d’un ancien palais du XVe siècle, mais l’intérieur surprend par sa richesse : marbres polychromes, dorures, fresques, chapelles ornées. L’ensemble, voulu par les jésuites, traduit la grandeur de la foi catholique et la mise en scène de la sainteté, notamment autour de la figure de saint Joseph Moscati.
Vue sur le chœur de l'église du Gesù Nuovo, Naples | MWelsh via Getty Images
Cosimo Fanzago (1591–1678) est l’un des plus grands architectes et sculpteurs du baroque napolitain. Il travaille le marbre et le stuc avec une grande virtuosité. Il intervient sur de nombreux chantiers religieux à Naples, notamment l’église San Martino, où il conçoit l’ensemble du décor intérieur, mêlant marbres polychromes et compositions complexes. Il est aussi l’auteur de nombreuses façades, chapelles et autels dans la ville, qui contribuent à définir l’identité baroque de Naples.
Plafond de l'église San Martino, Naples | Angelafoto via Getty Images
Autre lieu emblématique, la chapelle Sansevero illustre une forme de baroque plus intime. Rénovée au XVIIIe siècle sous l’impulsion du prince Raimondo di Sangro, elle abrite des sculptures extraordinaires. Le Christ voilé de Giuseppe Sanmartino, sculpté dans un seul bloc de marbre, frappe par le réalisme du voile qui couvre le corps du Christ.
Giuseppe Sanmartino, Le Christ voilé, 1753, détail, chapelle Sansevero, Naples | David Sivyer via Wikimedias Commons
Favorisée par une période de relative prospérité et par le dynamisme de l’Église locale, la ville de Lecce connaît aussi un vaste chantier de transformation architecturale. Le style qui s’y impose, souvent appelé « baroque leccese », se distingue par l’abondance des décors sculptés, rendue possible par la pierre locale, tendre et facile à travailler. Façades, balcons, corniches et portails sont couverts de motifs végétaux, d’anges, de figures humaines ou animales finement ciselés.
Parmi les monuments les plus représentatifs, la basilique Santa Croce occupe une place centrale. Commencée à la fin du XVIe siècle et achevée au milieu du XVIIe, elle présente une façade dense et détaillée : colonnes torsadées, guirlandes de feuillages, lions, figures allégoriques. Ce décor exubérant contraste avec la composition générale, ordonnée selon les principes classiques. C’est Giuseppe Zimbalo (1620–1710), surnommé « Lo Zingarello » qui joue un rôle central dans le développement du baroque leccese. Il participe à la construction de la façade de la basilique Santa Croce, et du campanile de la cathédrale. Son travail se distingue par une richesse décorative et une grande liberté formelle.
Façade de la basilique Santa Croce, Lecce | ROMAOSLO via Getty Images
Non loin, la Piazza del Duomo offre une autre illustration de ce baroque local, plus solennel. Fermée sur trois côtés, elle réunit la cathédrale, l’évêché et le campanile, dans une mise en scène monumentale.
Le baroque sicilien, nourri d’influences romaines et locales, se caractérise par l’usage de la pierre dorée, des façades courbes, des escaliers monumentaux et une ornementation riche mais bien maîtrisée.
La ville de Noto, entièrement reconstruite sur un nouveau site, est devenue l’un des exemples les plus aboutis de cette architecture. Ses palais et ses églises sont alignés selon un tracé régulier, et leur teinte ocre prend une couleur chaude au soleil. La cathédrale San Nicolò, avec sa façade sobrement rythmée et son large escalier, domine la ville.
À Raguse, la reconstruction a donné naissance à deux centres : Ragusa Ibla, partiellement préservée, et la ville haute, Ragusa Nuova, plus moderne. La cathédrale San Giorgio, à Ibla, illustre bien l’architecture baroque sicilienne : sa façade est composée comme un décor de théâtre, avec des colonnes, des volutes et un grand escalier qui l’intègre au relief de la ville. On l'attribue habituellement à Rosario Gagliardi (vers 1698-1762) est l’un des architectes les plus importants de la reconstruction post-séisme. Actif surtout à Noto et Raguse, il sert le caractère théâtral et équilibré du baroque sicilien.
Façade de la cathédrale San Giorgio, Raguse | starmaro via Getty Images
Tandis que Rome, Florence ou Venise adoptaient progressivement le néoclassicisme au XVIIIe siècle, les villes du sud de l’Italie continuaient de construire dans un style baroque jusqu’au début du XIXe siècle. Ce décalage chronologique ne relève pas d’un retard stylistique, mais bien de l’histoire et de la conception de l’expression du pouvoir propre à la région. Les élites locales, souvent aristocratiques ou ecclésiastiques, voient dans le maintien du baroque une forme d’affirmation de leur statut. À Palerme, en Sicile, nombre de palais continuent par exemple d’être enrichis de décors baroques jusqu’au XIXe siècle, perpétuant ainsi une culture du faste et de l’ostentation qui sert à marquer leur distinction sociale. Le goût pour le baroque devient une manière de se différencier des modèles venus du Nord ou de l’étranger, parfois perçus comme froids, au contraire des codes méridionaux. Même au XXe siècle, le style connaît une certaine résurgence, notamment à l’occasion de reconstructions après les séismes qui frappent régulièrement la région. Après celui de 1908 à Messine ou d’Irpinia en 1980, certaines restaurations cherchent à retrouver, voire à recréer, l’allure baroque des bâtiments disparus. Il ne s’agit pas seulement de restaurer un style ancien, mais de conserver cette identité visuelle qui donne à l’Italie du Sud son caractère si particulier.
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